L'eau. Elles prennent les armes. Zapatistas.
Voici un article de Anne Vigna parut dans le "Manières de voir" sur "l'Ecologie le grand défi" du Monde diplomatique. Franchement, parfois, j'ai bien envie de prendre mon bout de bois et mon scotch, et me joindre à ces femmes qui luttent pour des choses essentielles que nous oublions tous, nous grands consommateurs.
"Sur le petit écran de la télévision mexicaine, l’image avait quelque chose de surréaliste : 300 femmes Mazahuas portant des armes hors d’usage et venues jusqu’à Mexico pour « défendre l’eau ». La scène remonte au 20 septembre. Elle se passe devant le palais présidentiel de Vicente Fox. Les policiers ont reçu l’ordre de ne pas intervenir : les « premières lignes » ont plus de 70 ans. Dans leurs mains, des armes d’une touchante simplicité, parfois fabriquées le matin même avec deux bouts de bois et du gros scotch … Au micro, la « commandante » Victoria assène : « Nous, armée zapatiste des femmes Mazahuas pour la défense de l’eau, sommes prêtes à mourir pour obtenir un plan de développement durable de l’eau dans la vallée de Mexico. Nous demandons aux habitants de la capitale de cesser de gaspiller l’eau. »
Mourir pour un développement durable, lutter pour une utilisation rationnelle de l’eau, prendre les armes pour reforester ; les revendications des femmes indiennes Mazahuas sont prises au sérieux. Depuis cette manifestation, le ministre de l’environnement, Alberto Cardenas Jimenez, est allé sur place. Pour qu’un ministre se déplace chez les Indiens …
L’histoire remonte à 1980, date à laquelle le gouvernement mexicain met en œuvre le plus grand projet hydraulique d’Amérique latine pour alimenter en eau la ville de Mexico. Ce projet, le Système Cutzamala, se compose de huit barrages qui recueillent toute l’eau du bassin versant de Balsas, au nord-ouest de Mexico. Cette eau dérivée vers la capitale alimentait jadis l’environnement et les populations des états de Mexico, Guerrero et Michoacan. Aujourd’hui, leurs fleuves et leurs sources fournissent 10 millions d’habitants de la capitale. Une mégalopole qui manquera d’eau à l’horizon 2010 … Dans les trois États, les habitants doivent désormais parcourir de longues distances pour chercher l’eau. A cela s’ajoutent le déboisement, l’érosion, la perte de sources et la pollution des masses d’eau.
En 2003 puis en 2004, les terres des Mazahuas ont été inondées suite à un débordement des barrages mal entretenus. C’est la « goutte d’eau en trop », celle qui déclenche la lutte « quand on a plus rien à manger », disent les Mazahuas. Mais leur colère était déjà là. A force de voir l’industrie couper le bois et le gouvernement pomper l’eau. Et personne pour se demander si l’eau, elle, n’a pas besoin de l’arbre. Le cycle naturel a été brisé. Il faudra quelques semaines pour que l’affaire semble réglée. Les Mazahuas ont signé en octobre un accord avec la Commission nationale de l’eau, qui leur octroie une aide économique, un réseau de distribution d’eau et des plants pour la reforestation.
Aujourd’hui, six mois après, sur les chemins du territoire Mazahua, des femmes tirent des ânes chargés de bidons. L’eau n’est toujours pas arrivée et elles n’ont pas obtenu leur plan de développement durable. « Chaque qui partent à la capitale », récitejour, chaque seconde, ce sont 15 m par cœur Guadalupe, en déversant un énorme sac de linge qu’elle lave au ruisseau, tandis que sa fille charge une eau savonneuse dans les bidons. Quand les langues se délient, les mots sont lourds de sens : « Nous savons qu’il est de notre devoir, à nous les femmes, de défendre l’eau », lance Iris, 18 ans. Personne d’autre ne le fera. Nos richesses naturelles s’épuisent, nos fleuves sont pollués, nos hommes partent tous travailler en ville. Nous préférons mourir d’un coup plutôt que de mourir à petit feu. » Régulièrement, les représentantes des neuf communautés Mazahuas qui font partie du mouvement se réunissent pour organiser la lutte ? Peu de maris se sentent concernés. « Parce que c’est nous qui portons l’eau!»plaisante,àpeine,Maria.
Mais aujourd’hui, le souci des femmes Mazahuas c’est de dépasser les frontières du Mexique pour intéresser le monde à leur combat. Elles commencent à se pencher sur le prochain forum mondial de l’eau, qui se tiendra en 2006 à Mexico. Leur objectif, en supposant qu’elles aient une tribune lors de ce grand rendez-vous : expliquer au monde que la reforestation, l’usage rationnel et partagé de l’eau et la fin des grands systèmes hydrauliques sont la solution.
Victoria, la « commandante », garde le sourire. Un fusil dans une main. Un plant d’arbre dans l’autre. « Chaque arbre nous apporte 2 000 litres d’eau supplémentaires. Si la ville, demain, comprend l’importance de notre lutte, alors, nous gagnerons le combat. » Dans les communautés Mazahuas, les hommes disent de leurs femmes qu’elles « sont formidables ».